JEAN MICHEL LAFLECHE

VS

PROMOTOR

Une aventure inédite de Jean Michel Laflêche

Note préalable de l'auteur :

Toute ressemblance avec des faits d'actualités récents concernant le club est volontaire

et n'est pas du tout , mais alors vraiment pas du tout le fruit du hasard !

 

Ce matin là , par une journée triste , froide

et humide comme seul le mois de

Novembre peut nous en réserver , Jean

Michel Laflêche était assis à son bureau ,

blotti contre un maigre chauffage

d'appoint , car la chaudière du chauffage

central poussée dans ses derniers

retranchements venait de rendre l'âme .

Il se disait que décidément tout semblait se liguer contre le SCMB en ce moment.

Dehors , un léger mistral venait lécher de ses ailes glacées la façade délavée du siège du club .

Mais Jean Michel Laflêche ne sentait pas ce froid là , ce qui lui glaçait le plus les os c'était cette lettre recommandée qu'il venait de recevoir .

Cette missive qui n'était autre que l'avis d'expulsion du S.C.M.B .

Le vieux siège de l'association n'avait plus que 2 mois à vivre . Les bulldozers allaient bientôt entamer leur danse de mort et faire place nette .

A la place des batiments provisoires qui avaient accueilli pendant prés d'un demi-siècle des générations et des générations de footballeurs , de boxeurs , de judokas , de karatékas , de taekwondoïstes , de tennisman , de dirigeants bénévoles , allait se construire un hôtel 28 étoiles et des appartements de méga super haut standing.

Il jeta un regard par la fenêtre et contempla la vue du champ de course du Parc Borély et au delà la plage du Prado .

Il se disait que cette vue somptueuse suffisait à attiser la convoitise et l'appétit insatiable de son féroce adversaire .

Mais cette fois ci le combat était plus difficile que toutes les batailles qu'il avait précédemment menées .

On se souvient de ses légendaires démélés avec " Horibilus Christofarus " ou encore de son idylle avec la Princesse Aurora .

L'ennemi était d'un tout autre calibre . Il était retord , sournois , disposait de moyens considérables , et surtout possédait sur Jean Michel Laflêche un avantage énorme.

Contrairement à notre héros , il avait un coeur de pierre .

Un coeur fabriqué avec le béton précontraint le plus résistant qui soit . Ce même béton qui allait engloutir le siège du S.C.M.B et 50 ans de souvenirs , de peines et de joies .

Le redoutable adversaire de Jean Michel Laflêche se nommait " PROMOTOR " .

Pour se réchauffer un peu , et pour se remettre les idées en place , Jean Michel Laflêche se leva et parcouru une nième fois les diverses salles qui composaient le siège du club .

Il traversa la salle de réunion des dirigeants , déserte à cette heure là , mais remplie des coupes gagnées par les nombreuses équipes du club , puis il sortit , tira machinalement la porte de fer qui grinça comme à son habitude , il longea l'allée étroite qui menait au parking , passa devant la buvette , où il cru entendre une discution animée entre dirigeants . Mais il n'y avait personne .

Il arriva à la hauteur du local à matériel et de la salle que ses copains et lui avaient construit de leurs mains en quelques semaines et en prenant sur leur temps de congés .  

Elle en avait vu des repas d'équipes , des réunions agitées de dirigeants , des anniversaires .

Il secoua la tête comme pour chasser cette armée de fantômes qui bruissaient dans son esprit .

Arrivé dans le parking , il leva les yeux et vit la grande pancarte qui avait jadis été apposée à l'époque de la fusion entre le Sporting Club Bonneveine et la Jeunesse Sportive de Montredon .

Signe des temps la peinture s'était sérieusement écaillée .

Prenant un peu de recul , d'un regard circulaire , il embrassa l'ensemble de la batisse .

Il se dit qu'effectivement l'édifice était au bout du roulot , et qu'il y a bien longtemps en effet que l'on aurait du se préoccuper du relogement de l'association dans des locaux plus décents et davantage conforme aux résultats sportifs et au rôle que jouait le club si cher à son cœur dans le quartier .

Le gravier crissait sous les pas de Jean Michel Laflêche . Lui aussi s'il avait pu parler aurait raconté de savoureuses histoires sur les parties de pétanque entre dirigeants , sur les assemblées générales , sur les kermesses , sur les fêtes de fin d'année qui se déroulaient dans la cour .

 

 

 

Pressant l'allure , il arriva devant l'aile Est de la construction , admira le grand panneau qui claironnait fièrement toutes les activités proposées par la section sports de combat , passa sous les arbres rabougris qui masquaient la vétusté du local , et il se retrouva devant l'étroite entrée du dojo .

Il entra dans le minuscule bureau qui voyait défiler tant de monde . Levant les yeux , il eut une pensé affectueuse en regardant le portrait de Jean Claude Laforgia , le créateur de la section karaté , qui avait passé tant de temps et laissé tant de sueur dans ce lieu que les pelleteuses allaient anéantir en quelques minutes .

 

Machinalement , il alla vérifier que personne n'avait oublié ses affaires dans les vestiaires , et que la douche ne fuyait pas .

 Il en profita pour mettre à la poubelle des bouteilles de gel douche oubliées ça et là .

Il ramassa une bouteille d'eau que les boxeurs incorrigibles avaient laissé trainer au milieu de la pièce , puis contempla la grande salle du dojo où les jeunes judokas venaient de terminer leur cours .

 

Au fond de la salle la fresque japonaise du Fuji-Yama lui rappelait que le karaté avait été le premier art martial pratiqué dans cette salle .

Il se déchaussa et fut accueilli avec souplesse par les tatamis .

Il longea les murs et regarda avec nostalgie les photos accrochées aux murs , certaines jaunies par les outrages du temps , et qui telles des images d'Epinal , montraient aux utilisateurs de cette salle quelques uns des actes glorieux des compétiteurs du S.C.M.B

Il pensa que ces vieilles plaques d'everite avaient une âme et que chaque centimètre carré pouvait raconter une histoire .

Il arriva ainsi dans la deuxième salle où se trouvait le ring de boxe et la potence où se balancait une demi douzaine de sacs de frappe que les dizaines d'utilisateurs de ces installations maltraitaient à loisir .

Le sol était recouvert de nattes vertes rappelant l'une des couleurs principales du club .

Il savait bien qu'un jour ou l'autre il aurait fallu quitter cet endroit . C'était dans l'ordre logique des choses . Ce qui l'était moins , c'était la brutalité de la décision et surtout l'absence de proposition de relogement de l'association pour accompagner cette expulsion .

Il était prévu que le club aille dans la toute nouvelle maison des sports du quartier de Bonneveine  mais de lenteurs administratives en promesses non tenues , la réalisation de ce magnifique ensemble sportif qui aurait du redynamiser le club avait pris du retard , beaucoup de retard !

Il était inconcevable pour Jean Michel Laflêche que l'association cesse ses activités pendant de nombreux mois , et en particulier que le dojo ne puisse plus accueillir les quelques 300 membres qui le fréquentaient , car il savait fort bien que cela correspondait à la mort du club pour lequel il s'était battu toute sa vie .

Cette pensée le révulsa et en même temps lui redonna de l'énergie .

Non , décidemment cela n'était pas possible ; le SCMB ne pouvait pas mourir comme cela sans lutter , c'était contraire à tous les principes sportifs .

Il retraversa à grandes enjambées le dojo et s'assit dans ce minuscule bureau des sports de combat où l'on enregistrait néanmoins des centaines de licences .

L'étroitesse du lieu lui permettait de se concentrer . Il se dit : " Bon , voyons ,de quels moyens de lutte disposons nous ? "

Il prit une feuille de papier et d'une écriture rageuse traça ces quelques lignes :

* Premièrement : faire circuler une pétition dans le quartier ; il est certain qu'elle aurait beaucoup de succés , le club y a des milliers de sympathisants .

* Deuxièmement : on pourrait accrocher une banderole géante sur la cloture , du style : " Le SCMB est en colère , on nous expulse sans nous reloger - 800 jeunes à la rue ."

* Troisièmement : On pourrait manifester devant le siège , distribuer des tracts aux automobilistes Ou plutôt non , encore mieux , on n'a qu'à organiser une démonstration de boxe ou de taekwondo sur le carrefour de la place Bonnefon à l'heure de sortie des bureaux et des écoles .

Il sourit en pensant à la pagaille que cela engendrerait dans tout le quartier .

Bien sur la presse , la radio , la télé seraient conviées . Cela ne lui serait pas bien difficile , ses exploits passés en avait fait un personnage légendaire parmi les médias .

Enfin , pour lutter contre l'argent , utilisons l'argent . Retarder le plus possible les travaux pour que PROMOTOR en perde le maximum .

Si cela avait pu régler le problème , Jean Michel Laflêche était même pret à s'enchainer à la porte du club et à faire face aux monstres d'acier chargés d'abattre ce batiment rempli d'histoire .

La sonnerie du téléphone arriva à point pour calmer l'ardeur de notre héros ...

Jean Michel Laflêche décrocha nerveusement le combiné .

A l'autre bout du fil une voix lui dit : " Bonjour Monsieur Laflêche , ici la Mairie de Marseille , j'aie une bonne nouvelle pour vous . En attendant que soit construite la nouvelle maison des sports , nous allons vous reloger dans des batiments provisoires , mais rassurez vous , vous aurez tout le confort et l'espace nécéssaire , votre association le mérite amplement ! "

Jean Michel Laflêche remercia son interlocuteur et reposa l'appareil .

Ainsi donc , s'en était fait . L'affaire était pliée , le club allait bien déménager et l'ancien siège allait être rasé . Il se dit en essayant de s'en persuader que c'était peut être un bien .

Les évenements dés lors s'accélérèrent . Quelques temps plus tard le S.C.M.B fut transféré dans ses nouveaus locaux provisoires . Tous les bénévoles du club avaient mis un point d'honneur à participer au déménagement .

C'est que , 50 ans de souvenirs , ça pése !

La date fatidique de l'expulsion arriva et trés rapidement PROMOTOR prit possession des lieux qui furent envahis par les engins de chantier .

Les immenses caterpillar de leurs bras puissants et de leurs machoires d'acier n'eurent aucune peine à faire voler en éclat , un à un , les frêles murs du siège du club .

Aprés deux heures de travail il ne restait plus qu'un monticule de gravats .

Déjà les chargeurs s'apprétaient à remplir la noria de camions pour faire place nette .

A la fin de la journée le terrain était aussi plat que la morne plaine de Waterloo . Pour Jean Michel la défaite était encore plus grande que celle de l'empereur .

PROMOTOR commandé par sa soif et son appétit insatiable avait ordonné que dés le lendemain on attaqua le creusement des fondations et du parking souterrain .

Aussi , dés l'aube une pelleteuse était en place et se mettait à l'ouvrage .

Au premier coup de pelle l'engin heurta un gros bloc de pierre . Le godet métallique rippa avec un grincement sinistre sur ce que le conducteur pris pour un caillou .

Prudent , l'homme recula sa machine de quelques mètres et répéta l'opération .

A sa grande surprise le résultat fut le même .

Il renouvela sa manoeuvre plusieurs fois . A chaque tentative le résultat était identique , la machine venait s'empaller sur ce bloc de pierre .

Jean Michel Laflêche qui depuis la veille surveillait les travaux de l'autre coté de la rue fut intrigué par la chose .

Il traversa l'avenue et essaya de comprendre se qui se passait .

Tout à coup , son sang se mit à bouillir , et le degré d'excitation de son cerveau atteint son paroxisme . En un éclair il venait de tout comprendre . Ce que l'engin avait mis à jour n'était pas une grosse pierre !

L'allure rectiligne de la tranchée ne laissait aucun doute . La pelleteuse avait détérré les restes d'un mur , d'un mur massif , d'un trés vieux mur , d'un mur antique !

Jean Michel Laflêche saisit son téléphone portable et composa aussitôt le numéro des Monuments Historiques .

Il fut tellement enthousiaste et persuasif qu'une demi-heure plus tard un fonctionnaire du département des batiments antiques débarquait sur le site .

Il ordonna que les travaux de terrassements soient immédiatement stoppés .

L'archéologue dégagea avec précaution une partie de la pierre qui avait arrété l'élan du monstre d'acier .

Jean Michel Laflêche s'était précipité aux cotés du scientifique . N'y tenant plus , au bout de quelques minutes , il lui dit : " Alors ? Alors ? "

Et bien , mon cher Monsieur , nous sommes visiblement en présence d'une construction au moins bimillénaire , à première vue peut-être un édifice de l'époque héllénique .

Je vais faire arréter les travaux et ordonner une campagne de fouilles archéologiques  approfondies .

A ce moment là , le regard de Jean Michel Laflêche éclipsa celui du soleil qui se levait à l'horizon de cette journée mémorable .

EPILOGUE - DEUX ANS PLUS TARD .

Ce jour là , Jean Michel Laflêche faisait son jogging matinal . Il avait fait deux tours du parc Borély et courrait maintenant le long de l'avenue Clot Bey vers le nouveau siège du S.C.M.B , une magnifique batisse ultramoderne de verre et d'acier , claire , moderne , fonctionnelle , spacieuse . Le club avait doublé ses effectifs et n'avait jamais connu une telle période de prospérité .

L'affaire des ruines antiques avait grandement contribuée à sa notoriété .

Jean Michel Laflêche longeait le terrain du numéro 60 où jadis s'était élevé l'ancien siège du club . A la place s'était ouvert un immense chantier archéologique , un des plus importants et des plus riches du bassin méditérranéen depuis de trés nombreuses années . Sous ce qui avait été le siège , les archéologues avaient mis à jour les restes d'un temple grec , fidèle copie miniature du Parthénon d'Athènes. Un peu plus loin , un mur trés long et trés haut , peut être le quai du port ou venait accoster Gyptis et Protis .

Partout ce n'était que vestiges , tous plus imposants les uns que les autres . Une partie de l'histoire antique de Marseille s'en trouvait révélée .

Ainsi donc , quelques vieilles pierres avaient eu raison de PROMOTOR .

Le permis de construire avait été définitivement annulé . PROMOTOR avait été obligé de rembourser des sommes énormes .

Tellement énormes d'ailleurs qu'il y avait laissé jusqu'à sa chemise .

Jean Michel Laflêche , la tête remplie de souvenirs et des merveilleuses images qu'il venait de voir repris sa course vers la nouvelle maison des sports où il prit , rasséréné , une douche chaude et apaisante .

Ce soir là , à l'heure où l'astre du jour plonge dans la mer en éclatant de mille feux , une cravate , une luxueuse cravate en soie , délicatement bercée par une timide houle , finit par venir s'échouer sur le rivage de la plage du Prado .

C'était le seul vestige qui restait de PROMOTOR !

FIN

copyright " JeanmichelLaflêche Productions " 2004.

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